Archives de catégorie : Florian Stresemann

En 1992, l’essayiste Philippe Muray, dans un bref coup de gueule paru dans L’Idiot international, s’alarmait d’un nouveau besoin qu’il reconnaissait aussi bien aux Etats-Unis qu’en France et qu’il nommait « L’envie du pénal » (cf. Philippe, Muray, Désaccord parfait, Paris, Gallimard, 2000, pp.183-187). L’on y voyait dénoncée une judiciarisation excessive de la société et des rapports entre individus. En plus de reconnaître les prémisses d’une évolution qui semble atteindre aujourd’hui ses propres sommets, Muray poussait la clairvoyance jusqu’à comprendre lui-même en 1997 qu’il ne diagnostiquait qu’un commencement, à la première rédaction dudit coup de gueule : « Seul compte, en définitive, et comme toujours, le fait d’avoir vu la question alors qu’elle n’en était qu’aux prodromes de son sinistre développement. »

À l’heure du cataclysme des moi aussi, à l’heure où dans l’échelle internationale du mal, Weinstein gagne du terrain sur Bachar, le texte de Muray semble en effet revêtir toute sa pertinence. Ce sont sur les développements les plus récents de l’aventure hollywoodienne que j’aimerais faire porter ces quelques lignes.

L’on apprenait il y a peu que l’une des égéries du grand mouvement, l’actrice Asia Argento, se révélait elle-même sous le coup d’accusations apparemment graves, portées par un jeune adulte, tout juste encore mineur au moment des faits reprochés à son aînée.

Il n’en fallait pas tant pour que les moins subtils de ceux chez qui l’affaire des cochons balancés avait fait germé le doute se saisissent de cette aubaine pour proclamer, à grands coups d’arroseur arrosé, le mensonge éternel des femmes humiliées. Ainsi, l’affaire Argento/Bennett devint dans l’esprit mal tourné de certains, une forme de preuve qui démontrât quelque supercherie.

Il n’en demeure pas moins que les femmes doivent pouvoir dénoncer les horreurs qui leur sont faites. Il n’en demeure pas moins non plus que les ridicules et les travers des mouvements post-Weinstein, s’ils existent, doivent pouvoir être moqués. Or, à cet égard, le petit Bennett ne constitue en rien un coup de frein porté à ce que le mouvement de la balançoire a de plus dangereux. Bien au contraire, il s’agit là d’un ultime prolongement, d’une ultime mascarade, d’une ultime vulnérabilité de circonstance.

Peu après les révélations du New-York Times qui faisaient basculer madame Argento du clan des agnelles à celui des truies, ces mêmes accusations se voyaient porter un coup dont elle se seraient certainement passées : un selfie post-coïtum sur lequel on découvre un jeune homme béat, couché aux côtés d’une actrice dénudée, ivre d’une différence d’âge dont il se plaindra pourtant – en temps voulu. 

Plusieurs siècles avant Jésus-Christ, la cité d’Athènes fut minée par des individus particuliers, appelés les sycophantes, dont l’occupation principale était de produire des accusations factices. En l’absence d’un réel ministère publique, les citoyens avaient à charge de dénoncer les délits et crimes auxquels ils étaient susceptibles d’avoir assisté. Si l’accusation se vérifiait fondée et débouchait sur une condamnation, l’accusateur touchait une somme d’argent. L’on conçoit qu’un tel système puisse créer de véritables délateurs professionnels : les sycophantes

Si certains individus – et il y’en a beaucoup c’est une certitude – ne parviennent pas à réfréner des tentations qui deviennent des crimes lorsqu’elles ne sont pas consenties par la personne sur laquelle elles portent, d’autres éprouvent – il doit y en avoir d’innombrables en Californie – des envies de tribunal. L’envie du pénal. L’envie de n’avoir pas eu envie. L’envie d’être le sycophante de ses propres consentements, de ses propres compromissions, l’envie de dire non aux oui dont on a désormais un peu honte.